Rien ne sert de courir…

Durée: 6 min 56 sec
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Rien ne sert de courir…


Les numéros pétillent de toute part sur les torses et les dos quand le départ est donné. Aucune logique mathématique. Aucune logique tout court. Aucun moyen de prévoir l’issue des événements à ce stade. Les stratégies divergent autant que les potentielles performances de chacun. Juste une masse en mouvement.

Serge vient de franchir la première ligne blanche. Il se sent frais et plein d’énergie. Son entrainement a été méthodique. Sa tenue, de la tête aux pieds,  a été choisie avec soin et critères techniques. Repos, repas, préparation mentale ; Serge est dans la maîtrise.

Chloé porte le dossard 12675. Un numéro comme un autre. Elle s’en fout de toute façon. Pas la moindre superstition par rapport à ça. Sa cousine l’a inscrite à la course suite à un pari perdu. Elles courent ensemble toutes les deux depuis des années. Alors le défi ne lui fait pas peur. Même seule.

La foulée du jeune homme est régulière. Il jette par moment un œil à la montre reliée à son capteur cardiaque. Pulsations parfaites. Il en était sûr. Peu à peu, le nombre de coureurs massés autour de lui au départ a diminué. Il court depuis plusieurs kilomètres avec un petit groupe d’inconnus qui ont adopté la même vitesse. A ce stade de la course, il ne s’agit pas encore de faire jouer la concurrence.

La jeune femme court avec aisance et en souriant. Elle se sait capable de tenir la distance et profite du magnifique environnement qui borde le parcours. Les arbres sont parés de leurs couleurs automnales et le doux soleil de ce jour rend le tableau encore plus chatoyant. Elle se sent légère, entourée d’un petit groupe de coureurs qui, à la même allure qu’elle, semblent la porter dans leur énergie.

Le septième kilomètre vient d’être franchi par Serge. Timing précis. Il est dans ses marques. La vue des coureurs toujours identiques autour de lui le lui confirme également. Il est ravi du choix de ses baskets, qui le portent et le maintiennent en toute légèreté. Devant lui, une coureuse a les mêmes. En mauve.

Chloé vient de dépasser la marque des sept kilomètres. Avec une aisance et une fluidité évidentes. La course la grise et elle n’a pour l’instant ressenti aucune pénibilité. Sa queue de cheval virevolte dans son dos, juste au-dessus de la langue d’humidité apparue sur son débardeur violet. Elle est comme une tâche pourpre dans le petit peloton vêtu majoritairement de noir qui l’entoure.

Serge court maintenant depuis deux kilomètres derrière la jeune femme aux baskets mauves qui a une jolie cadence. Il tient son regard sur ses cheveux qui fouettent l’air à chaque pas et ce mouvement draine sa concentration. Il sait l’importance de la focalisation à ce stade. Il reste un peu moins de deux kilomètres. Serge est presque assuré de battre son record.

La jeune femme ne se départit pas de son allant malgré les kilomètres qui passent. Seules les bornes les lui indiquent tout au long du tracé. Car son corps est toujours dans la facilité. Et son esprit dans la joie. Ses pensées, légères et colorées, semblent la porter à chaque pas. Un homme court juste derrière elle. Leurs pieds sont synchronisés sur l’asphalte. Elle l’entend.

Serge a finit par prendre quelques centimètres sur Chloé. Il se retrouve à sa hauteur. Leurs yeux se rencontrent brièvement. Puis il la dépasse d’un demi-mètre. A présent c’est lui qui entend sa foulée régulière juste dans son sillage. Amusée, Chloé pousse un peu sur ses jambes et le redépasse. Cette fois, l’échange de regards s’accompagne de son sourire.

Dans la dernière côte, l’homme lâche un instant sa concentration en observant la femme en violet qui vient de se repositionner juste devant lui. En le gratifiant au passage d’un sourire pétillant et joliment provocateur. Il se recentre sur la course, mais rapidement la mèche de cheveux de Chloé qui balance devant lui vient à nouveau chercher son esprit. Tout comme son sourire qui y a laissé un sillage envoûtant.

Sans rien perdre de sa vitesse, celle-ci jette un coup d’œil en arrière, qui trouve à présent le sourire de Serge. Elle remet sa tête dans l’axe de la course pour entamer le dernier kilomètre qui va s’offrir à eux, juste après ce grand virage en montée dont ils voient bientôt le bout.

C’est alors que Chloé quitte vivement la route pour sauter par-dessus les gravillons qui la bordent et fouler la mousse et les brindilles d’un début de forêt. Et Serge la suit. En instant, le but de la ligne d’arrivée a été substituée par les cheveux et le sourire de Chloé qui changeaient d’itinéraire. Ils courent encore pendant quelques minutes pour pénétrer plus avant dans les bois tout en étouffant des fous rires.

Ils s’arrêtent en même temps et se regardent étonnés, et essoufflés de ces derniers mètres en terrain accidenté. Et puis, d’un seul élan, ils se ruent l’un vers l’autre. Leurs battements cardiaques, qu’une course régulière avait pourtant su maîtriser, s’affolent dans l’étreinte. Les dossards volent en l’air avec leurs teeshirts, pour se retrouver piétinés au sol pas des embrassades qui voient leurs corps échauffés par l’effort monter encore en température.

Ils perdent leur souffle dans des baisers salés et délassent leurs membres dans des caresses empressées. Les contractures changent de place et les halètements d’origine. Le sol humide de la forêt accueille leurs corps fourbus mais mus d’un second souffle enivrant. Et c’est ensemble qu’ils franchissent la plus délicieuse des lignes d’arrivée….

 

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