Commerçant

Durée: 8 min 48 sec
© Dans tous les sens
Lien musical: Edith Piaf – Non, Je ne regrette rien

Commerçant

 


 

J’entre distraitement dans la énième boutique de ce front de mer  dévoré de touristes. Aujourd’hui je n’ai pas l’âme acheteuse. Au bout de mon bras se balance un unique sachet blanc presque transparent renfermant un simple dissolvant pour les ongles. Je suis mon homme qui semble plus inspiré que moi dans ses emplettes. Toujours sexy et fashion, il porte ce t-shirt rose foncé qui met si bien son bronzage en valeur. Je mate ses jolies fesses dans son short blanc. Il semble n’en rien voir…

Dans cette boutique de mode masculine, pas de sandales attirantes dans lesquelles exhiber mes jolis pieds aux ongles rouges. Je me crois donc sottement à l’abri de toute tentation. Je donne un  avis distrait mais  avisé sur les pièces de vêtements que me montre mon homme, toujours en chasse de la bonne affaire. Il vient de dégotter un short de bain turquoise qui sera sans doute du meilleur effet sur sa peau digne de celle d’un métis après nos bientôt quinze jours de plage. Il disparait dans la cabine d’essayage et je m’assois dans le confortable siège de velours rouge qui lui fait face.

C’est alors que mon regard croise celui du patron de la boutique, jusqu’alors resté discrètement derrière son comptoir. Difficile de lui donner un âge…mais sans doute plus jeune que nous. Il a un charme délicat et pénétrant, et les cheveux très courts, comme j’aime. Ses mâchoires bien dessinées entourent un sourire léger mais renversant. Ses yeux gris sérieux me collent au siège. L’espace d’un instant qui parait infini, nous nous fixons du regard. La sono laisse échapper une chanson de Piaf que je me mets à fredonner sans bruit.

Mon homme sort de la cabine. Devant moi, ces deux beaux gosses s’offrent à ma vue côte à côte. Celui que je connais bien et qui m’a si bien fait l’amour ce matin-même. Et celui qui n’est encore que promesses, mais déjà objet de mille fantasmes. Tous deux me sourient, pareillement inconscients du sourire de l’autre. Positif mais sans être lourd, le patron félicite mon homme pour son choix et lui indique la promotion commerciale de cette période de pré-soldes. Ce dernier repart alors en chasse dans les rayons.

Le propriétaire des lieux observe mes lèvres qui ont repris leur chuchotement. « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… ». Il monte légèrement le volume de la musique et je sens dans  son geste comme un acquiescement. Je lui souris à mon tour très clairement. Du fond de la boutique, mon homme, qui me connait bien, n’a rien perdu de notre petit manège et s’en réjouit. Il fait durer ses recherches sciemment jusqu’à l’heure toute proche de la fermeture. Nous engageons alors tous les trois une conversation qui, sous couvert de politesse, ne laisse personne dupe.

Je propose alors un verre sur une des nombreuses terrasses de bord de mer qui jouxtent la boutique. La température de début de nuit est idéale, après des heures de chaleur écrasante. La luminosité du jour qui vient à peine de de fuir donne un aspect irréel à la scène. Étant chez lui, le patron de la boutique nous emmène dans un endroit qu’il affectionne, où l’on retrouve en version déco cette même beauté sobre qui se dégage de sa personne.  Cet endroit presque poétique lui correspond bien, loin du clinquant vulgaire de certaines enseignes. La conversation va bon train, chacun y trouvant tout naturellement sa place. Mon homme a retrouvé sa position chérie d’observateur amusé. Le charme continue d’opérer entre le deuxième homme et moi.

Nous commandons trois muscats. La fraicheur sucrée du vin doux me caresse le palais et coule liquoreusement au fond de ma gorge. Très vite, l’effet de l’alcool dissipe les derniers relents de gêne qui empesaient notre conversation. Je me sens glisser dans cet état de torpeur sensuelle induit par une légère ivresse. Face à moi, les yeux brillants et coquins de mon homme et ceux tendres et pénétrants de ce presqu’encore inconnu. Il émane de lui une douceur qui me fait fondre.

Mon homme propose de faire suivre le verre d’une balade sur la plage. Nous voilà partis tous les trois, pieds nus dans le sable frais. Il me prend la main. Je glisse l’autre entre les doigts du deuxième homme qui la serre en signe d’assentiment. Marcher entre eux est très agréable. Nous flânons un bon moment, laissant  seul le bruit des vagues  faire écho à nos pensées troublées. Bientôt notre balade est arrêtée par une longue jetée de rochers sur lesquels nous prenons place. Nous restons encore quelques instants immobiles et silencieux dans la douceur du moment.  J’observe alternativement leurs deux profils se détachant sur un ciel devenu bleu-noir. Ce n’est plus qu’une question de secondes…de savoir qui fera le premier pas…

Etrangement c’est le deuxième homme qui le fait. Il se penche et m’embrasse le cou avec une douceur encore plus troublante que celle que je lui avais imaginée. Mon homme sent les frissons qui traversent tout mon corps et offre sa bouche à l’autre côté de ma nuque. Je fonds sous leurs baisers conjoints. De mes deux mains, je caresse leurs joues dans une symétrie parfaite.

Je ne suis qu’une. Ils sont deux. Mon homme initie alors un grisant jeu de copier-coller dans lequel il invite tacitement notre sublime pièce rapportée à refaire à l’identique toutes les gestes qu’il propose.  Sous l’effet de leurs caresses en écho, je m’abandonne. Ma raison cède pour laisser toute la place au plaisir. Je câline l’un et l’autre, mes doigts ne sachant bientôt plus distinguer qui est qui tant nous ne sommes plus qu’une seule et même entité de sens.

Tendres, incandescentes, sauvages, les heures de nuit consumeront  notre belle fusion…

Avis

Il n’y a pas encore d’avis.

Soyez le premier à laisser votre avis sur “Commerçant”

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *