Derrière elle

Durée: 7 min 16 sec
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Derrière elle...

 


 

La minuscule attraction des deux rangées de cils fut conclue par le léger clic qui était le point final de sa préparation. Les petits balais à la longueur démesurée venaient donner encore une touche d’éclat à son maquillage de soirée, dont les tons variaient selon les tenues. Mais dont l’intensité était toujours de mise.

Cette routine dont des années de pratique avaient fini par huiler parfaitement les rouages avait la précision d’un coucou suisse. La succession des gestes bien rodés de Fabien faisait figure de rite de passage cathartique.

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Fabrice appuya sur le dernier bouton pression de sa chemise dans un léger clic et noua la cravate par-dessus d’un geste automatique.

Il ne se résolvait pas à sortir avec une tenue « casual ». Non pas qu’il ait eu acquis des habitudes de vieux garçon. Plutôt un sens bien défini de l’élégance, qui guidait autant son apparence que son comportement.

Et la preuve qu’il aimait le changement et n’était pas enfermé dans des habitudes rigides était que chaque vendredi soir il allait boire un verre dans un bistro différent. C’était comme un moyen de tenir à distance la douleur générée par son divorce, avant l’arrivée du weekend qui était souvent solitaire.

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Fabien entra dans le bar, impassible aux regards qui se portaient invariablement sur lui. Sa tenue lui donnait bien plus que de l’aisance ou de l’assurance. Elle était la sublimation d’une partie de lui. Il en savait chaque détail choisi avec soin pour mettre en exergue ce qu’il voulait montrer. Toujours avec élégance.

Il avança lentement entre les tables où invariablement des têtes se tournaient vers lui. Celles des habitués qui détaillaient la tenue du soir et celles des gens de passage qui le découvraient avec gêne, amusement ou admiration. Les chuchotis dans son dos lui envoyaient de petites décharges d’adrénaline. La soirée pouvait commencer.

Il prit place au bar, sur SON tabouret du vendredi soir. Sans qu’il ait besoin du moindre mot ou du moindre geste, le barman déposa sur le zinc son verre triangulaire. Martini blanc. Deux olives sur une pique noir brillant. Le bâtonnet qui tournait entre ses doigts tandis qu’il promenait lentement son regard sur l’assistance.

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Le tourniquet mélangea l’air frais du dehors et la touffeur du dedans tandis que Fabrice entrait dans le bar. Avant de pénétrer plus loin dans l’établissement, il enleva son manteau et le replia sur son bras. Cela lui permit de balayer la salle d’un regard, avant de se diriger avec assurance vers un espace disponible au bar.

Un tabouret était libre. Entre une femme de dos dans une robe verte pailletée et un trio de buveurs de bière. Fabrice s’y coula et déposa son manteau sur ses genoux. La musique était bien dosée, les amateurs de houblon relativement tranquilles et le parfum de la femme enveloppant. La soirée s’annonçait agréable.

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Fabien aimait sentir le bar se remplir, le bruit monter peu à peu, tout comme une forme de détente qui flottait de plus en plus dans l’air à mesure que l’alcool brulait les gorges et grisait les esprits. Il s’en tenait toujours à deux Martini. Pas plus. Même tabouret. Même boisson. Même nombre de verre. Mais robes toujours différentes et clientèle présentant son lot de découvertes. Il ne laissait jamais indifférent. Le risque était de se confronter aux quolibets d’une bande de jeunes ou d’un teigneux libéré par l’ivresse.

Mais ses vendredis lui apportaient plus généralement de belles surprises. Il battait de ses longs cils jusqu’à ce que son regard en croise un autre teinté d’attrait. Le jeu commençait alors. Curiosité, découverte, excitation. Deviner s’il plaisait pour son apparence ou pour ce qui s’y cachait…

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Fabrice n’avait esquissé ni geste ni parole pour attirer l’attention de la robe verte. Il restait dans son sillage capiteux. Elle était seule et il ne l’avait pas même entendu commander le verre dont elle faisait rouler le pied dans les doigts de sa main gauche. Mais son corps parlait pour elle. Une taille fine sertie dans le satin de sa robe et rehaussée de paillettes qui dessinaient des marbrures le long de ses courbes.

Ses cheveux blonds, dont s’échappaient deux boucles en forme de gouttes aux reflets émeraude, étaient retenus dans un chignon souple qui dégageait sa nuque. Le grain de sa peau était velouté à l’œil. Fabrice dut soudain retenir l’envie d’y promener ses doigts. Si troublé d’être ainsi derrière elle…

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Il sentit soudain comme une présence insistante derrière lui. Aucun contact physique, même s’il avait perçu que le tabouret d’à côté était occupé. Une sorte de présence énergétique qui s’enroulait autour de lui dans des spirales de plus en plus troublantes.

Fabien fit lentement pivoter son siège, en mordillant la pique noire entre ses lèvres irisées. Il sut dans l’instant que Fabrice allait basculer.

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Fabrice observa la robe verte se retourner dans un lent travelling. Sourire. Bâtonnet entre les lèvres. Immenses yeux dont les cils papillonnaient. Peau de pêche. Sourire encore. Et les lèvres qui s’entrouvrirent doucement pour articuler un bonsoir. D’une voix grave. Très grave…

Troublé derrière elle, il le fut encore devant lui…et il laissa le trouble le gagner jusque tard dans la nuit..bien loin du tabouret de bar…et sans la robe verte…

 

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