Moustaches

Moustaches

C’est tellement cliché que je m’en veux du simple fait d’y penser. Un peu comme si je me laissais aller au niveau zéro de l’imagerie érotique. Et pourtant j’avoue que je suis gagnée par un certain trouble en le regardant.

Pourtant le contexte n’est pas des plus excitants. Manu me présente aujourd’hui officiellement à sa famille. Le repas dominical et son menu à tiroirs ont été excellents. Mais longs, et nous plombant peu à peu sur nos chaises. Je fais toutefois bonne figure et je goûte de chaque plat, dans un mélange de gourmandise et de politesse.

Manu est en face de moi. La largeur de la table nous permet de réguliers jeux de pieds, des plus amusés aux plus sensuels, toujours dans la folle complicité qui est la nôtre depuis bientôt six mois. Nous apprécions tous deux la bonne chère et sa cuisinière de mère nous régale. Je vois les yeux de mon chéri se plisser à retrouver les goûts de cette cuisine qui a bercé sa jeunesse.

Le trou normand est désormais derrière nous, quand la maîtresse de maison apporte sur la table un joli plat allongé en porcelaine de Sèvres. Mais peu importe ce flacon …l’ivresse viendra assurément de son contenu : un fondant au chocolat sur son lit de crème anglaise, tacheté çà et là de petites touches de chantilly. Il s’en dégage une odeur cacaotée qui affole mes papilles au premier regard.

Manu a les yeux qui brillent comme un petit garçon devant son gâteau d’anniversaire. Il en perd presque ses mots en m’assurant que je vais me régaler.

Je me régale surtout à le regarder. A observer sa bouche s’ouvrir sur l’ovale de la petite cuillère contenant la première morce de ce péché mignon. A contempler ses lèvres gourmandes qui se referment sur la bouchée encore chaude du four, qui libère sa douce lave dans une explosion de régal.

Et soudain mon regard est attiré par cette fine trace chocolatée dessinée entre l’ourlet de sa bouche et la ligne de sa moustache. Je m’imagine, dans un éclair de fantasme, monter sur la table à quatre pattes pour aller la lui lécher. Tandis que mon esprit divague, mon corps reste posément assis dans le cercle familial.

Il a vu que je l’observais avec encore plus d’intensité que depuis le début du repas. D’un geste discret, je lui indique l’objet de mon amusement. Mon désir redouble alors quand j’aperçois le bout rose de sa langue qui vient à tâtons chercher la trace coupable. Il en rajoute un peu, faisant mine de s’en délecter plus qu’il n’en faut.

Et à nouveau mon imagination galope à la vue de ce détail qui l’enflamme. Je pense à ma propre langue venant aspirer ce reste sucré, puis s’égarant entre le doux de sa peau et le piquant de sa moustache dans un contraste affolant.

Je donne le change en restant bien droite sur ma chaise, mais mon entrejambe est parcouru de frissons envoyés par mon cerveau qui tricote du fantasme à toute vitesse. Manu s’en est aperçu et il en rajoute, bien évidement . Il met le bout de son majeur dans sa bouche puis va le promener en rond tout autour de son verre de Monbazillac.

Il porte le cristal à ses lèvres et j’en fais de même en face de lui. Le liquide sucré s’écoule dans nos gorges ravies. Les arômes doux du vin et du chocolat se marient et éclatent dans nos bouches qui se sourient très grand.

Je l’embrasse en pensées. Je saisis la pulpe de ses lèvres entre les miennes, avant d’y promener ma langue encore pleine de saveurs. Puis je l’instille dans sa bouche comme ambassadrice de mon désir fou. Je peux sentir sous elle toutes les parties du corps de mon homme qu’elle a déjà lapés de mille coups….

« Mon chéri, tu as un peu de chocolat dans ta moustache.. » aura été la seule trace perceptible de mon trouble….