Deuxième fois

Durée: 12 min 30 sec
© Dans tous les sens
Lien musical: Sofiane Pamart – Chicago

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Deuxième fois

 


 

Sous nos semelles, le bitume est moins frais que ce à quoi nous pouvions nous attendre.  Les pas de la femme ont le tempo d’un andantino precioso. Elle s’est arrangée pour n’être ni en retard ni trop en avance non plus. Elle sait l’exercice de la première rencontre, même si celle-ci n’en est pas totalement une. Elle s’est préparée comme si c’était le cas, mais le ventre ne frémit pas. Cet homme ne parle pas à son ventre. Revenant sur sa théorie du premier instant décisif, elle décide toutefois de le revoir. Il lui faut en avoir le corps net.

Je sais bien qu’elle n’aime pas marcher avec nous. Elle a attendu quelques instants sous un ciel enfin sec et est montée dans le bus calmement. Ou avec résignation ? Nous savons qu’elle n’a pas verni ses orteils. Une part d’elle-même n’y croit plus. Cette part que les échecs des derniers mois ont peu à peu comme endormie. La frénésie de Noël vit ses dernières heures. Autour des jambes gainées de noir de cette femme, tout n’est que paquets et précipitation. Des visages, comme rongés par l’obligation de combler les siens, l’entourent, le temps de quelques arrêts.

Elle est à des kilomètres de l’agitation ambiante. Dans un repli de l’âme qui, sans toutefois lui apporter la protection voulue, lui procure par moment ce petit recul nécessaire. Quel autre refuge mieux que l’intérieur de soi peut prétendre à envelopper le bleu-gris de la solitude ? Théorie parfaitement maîtrisée, mais la petite fille qui vit toujours à l’intérieur de la femme réclame son dû de bras aimants. C’est là, et là seulement, qu’elle croit qu’enfin tout s’apaise.

Le trajet est rapidement parcouru. La notion du temps se distord à loisirs dans les histoires humaines. Tunnel sans fin qui sépare ces moments où le « deux » annihile le reste de l’univers et fugacité totale de ces mêmes moments. Interminabilité des secondes de souffrance aussi. Le temps de cet instant-là est presque neutre. Teinté essentiellement de curiosité.

Pourquoi retrouver cet homme qui n’est pas libre ? Pourquoi ne pas mettre un terme à la fluidité de leurs dialogues anglais ? Pourquoi sommes-nous à ses pieds comme si elle jouait la parade habituelle de la séduction ? Aucune de ces questions ne fait toutefois surface. La femme se sent blanche, vide. Elle ne peut plus accrocher à nos talons les petites ailes de l’enthousiasme. Elle ne vole pas vers cet homme. Elle marche tranquillement, sûre de finir une fois encore convaincue de l’irréalisme de ses rêves.

Après le claquement du béton, nous jouons maintenant le moelleux du tapis recouvrant les quelques marches du lounge de l’hôtel dans lequel ils doivent se rencontrer. C’est révélateur un premier lieu de rendez-vous. Tamisé, rouge, chaleureux, discret peut-être… Voilà le lieu dans lequel il a voulu installer ce premier moment à deux.

Elle et nous balayons la salle presque vide d’un coup d’œil. Elle a appris à être à l’aise partout. Nous lui donnons ce petit supplément d’assurance. Elle sait son charisme et le surplus de féminité que nous prodiguons à ses jambes, qu’une robe courte laisse bien visibles. Le choix est vite fait. Au fond, à droite, la vue sur la porte sera bonne et le cuir gris foncé des fauteuils clubs fera pour l’instant office de bras.

Elle est à l’aise, on pourrait presque dire sereine. Aucune pensée parasite ne vient troubler son attente. Elle est sûre qu’il sera là. Et pourtant ce n’est largement pas toujours le cas. Les humains ont souvent tant de peine à se respecter eux-mêmes, que prendre soin de l’autre ne va pas toujours de soi. Mais lui viendra. Elle n’en doute pas.

Elle doute de milles autre choses cependant. L’incertitude première se loge dans ce qui se dégagera de ce nouveau « premier regard ». Elle sait qu’elle lui plait. Elle ne parvient pas à définir la réciprocité. Après quelques contacts virtuels et néanmoins charmants, ils se sont déjà rencontrés, sans nous… avec une paire de bottes. Qui semble avoir avant nous déjà conquis cet homme.

La femme sait assez bien interpréter un premier contact visuel, ainsi que les autres signes qu’il lui avait offerts tout au long de la première soirée. Ensuite, les appels répétés de cette femme blonde sur l’écran de son téléphone l’avait confortée dans son impression trouble. Était-elle déçue qu’il ne soit pas célibataire ? Elle était plutôt résignée. Peu de choses la surprenaient encore. Comme un boxeur au tapis qui continue de percevoir le mouvement du monde en n’y étant plus complétement inclus. Et après tout c’est tant pis, puisque son épiderme à elle était resté silencieux. Ce soir-là, ses bottes l’avaient paisiblement ramenée chez elle.

Une dizaine de jours plus tard, quand il passe la porte du bar, aucun déclic n’a lieu. Sans déplaire à la femme, ce corps ne lui parle pas. L’homme déplace leurs fauteuils, comme pour forcer une intimité à laquelle lui aspire assurément. Surprenant, une telle volonté affirmée sous ce visage doux, presque timide. Elle le laisse faire, souriant de plus en plus intensément à tout ce qu’il raconte de lui. Un premier déclic a lieu à ce moment-là, quand elle découvre dans ses mots que cet homme est, tout comme elle, agi de passions dévorantes. C’est là que le nœud qui faisait obstacle à la tendresse de la femme se desserre. Elle sent qu’elle ne le regarde plus pareil. Le sent-il lui aussi ? Plusieurs fois sa main tente de s’accrocher au noir de sa chemise…mais le geste s’arrête ou meurt trop vite.

Les minutes, quoique pleines à craquer d’une intensité dont ils ne sont pas dupes, s’écoulent comme du sable fin et déjà voilà que l’homme doit s’en aller. Ils décident de se retrouver plus tard dans la soirée. Nous menons nos pas jusqu’à sa voiture, puisqu’il propose de ramener la femme chez elle. La proximité du bar ne se dissout pas dans l’air frais du dehors. Aucun d’eux n’a envie de mettre fin à cette jolie parenthèse.

Au sortir de la voiture, l’homme rejoint la femme à côté de sa portière. Leurs corps se rejoignent pour la première fois. Et c’est dans la naissance d’un baiser qu’est l’évidence, que toute résistance est abandonnée. La langue de l’homme lui offre éperdument l’accès à cette femme dont nous sentons le corps toujours debout mais totalement acquis, déjà tremblant de désir. Quitter cette union primitive est comme un arrachement que le projet de retrouvailles rapides amoindrit quelque peu.

Nous la portons jusque chez elle. Elle est légère de la joie de ces instants, même si le lest des ratages passés la maintient fermement au sol. Les heures passent à cette juste vitesse qui lui permet de finir ses derniers préparatifs, tout en se délectant de l’impatience sucrée du retour de l’homme. C’est un réveillon de Noël bien particulier, mais que connait-elle d’autre que la particularité, elle qui vit tout avec une telle entièreté. Les mots de cet homme et la texture de ses baisers ne laissent aucune place à une solitude susceptible d’entacher cruellement une soirée supposée festive.

Puis le voilà de retour chez elle. Posées au sol dans le couloir, nous sommes témoin de leurs corps qui se retrouvent. Il leur faut quelques instants pour repasser le seuil d’intimité qui avait été le leur il y a peu. Le thé refroidit seul dans les tasses tandis que la chaleur envahit leurs rapports. Il est de cette tendresse qui fait tant défaut au célibat de la femme. Elle se refuse toutefois à y céder complètement, sentant en elle se disputer le manque et la force de l’expérience. Une fois de plus, les baisers de l’homme l’emportent.

A l’intérieur d’elle, la femme sent fondre ses propres résistances sous la chaleur enveloppante de ses caresses à lui. Peu à peu, elle découvre aussi son corps. Le grain de sa peau, son parfum, sa façon de réagir, viennent s’ajouter au rythme de sa respiration, entrainant la femme dans une interminable ronde de félicités.

L’espace d’un instant, elle craint que la douceur de cet homme ne l’empêche de posséder aussi cette force masculine un peu brute qui la séduit aussi tant.

Mais ses doutes sont rapidement balayés. Au bout de quelques minutes, il n’est plus rien en elle de réfléchi, plus place au moindre doute.

L’homme lui arrache pour ainsi dire sa jupe et l’envoie tournicoter dans les airs jusqu’à atterrir sur notre cuir. Nous nous retrouvons cul par-dessus tête et privés de la vue de la chaude scène qui s’ensuit, tout juste capables de percevoir les gémissements qui se s’accélèrent, aussi vite que passent les précieuses minutes qui le verront repartir ensuite vers sa couche légitime…

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