Fessée

Durée: 6 min 25 sec
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Fessée

 


 

« Toutes les femmes aiment les fessées » dit-il « même celles qui n’y ont pas encore goûté. ».

Cet homme, tel un mirage de sauvagerie nue dans sa petite vie rangée, manie avec brio le yin et le yang de la sexualité. Bien sûr qu’ils ne devraient pas se trouver là tous les deux, bien sûr que ce lit n’est pas sa place à elle et qu’ils savent d’entrée de jeu que la partie sera brève.

Sa femme, la légitime, mais qui n’occupe de ce rôle que le titre, est partie quelques jours trouver de lointains parents. Se retrouvant seul, l’homme a pris un peu de temps pour s’organiser dans un célibat forcé qu’il n’a plus connu depuis bien longtemps. Aucune envie de s’étourdir de l’ivresse d’une adolescence retrouvée. Peut-être simplement de goûter aux joies simples d’une vie semée de moins de contraintes.

Et puis arrive cette soirée chez des amis. Certains ont tendance à penser qu’un homme sans sa femme ne peut que péniblement survivre, au milieu de plats surgelés, et qu’il doit impérativement être très entouré, sous peine d’être happé par sa neurasthénie. Lui pas. Mais il est toutefois ravi de cette occasion de voir du monde et d’être reçu chez de fins gourmets.

Il ne prend pas la peine de s’habiller plus élégamment que nécessaire et arbore, comme un signe de résistance aux diktats conjugaux, une tenue décontractée. En pénétrant chez leurs amis, La vision du couple qui reçoit offre aussitôt un miroir sans complaisance à son propre couple, dont il est ce soir la moitié tronquée. Il perçoit aisément ces petites tensions du quotidien, auxquelles on s’adapte certes, mais qui trop souvent grignotent le lien de minuscules attaques insidieuses.

Deux autres couples bien connus de lui sont également présents. En pénétrant dans le salon, il aperçoit une femme qu’il n’a jamais vue jusqu’alors. Elle regarde au dehors, le jardin où l’épicéa d’orient clignote. Combien de temps a-t-elle déjà également passé avec leur ami commun à l’entendre détailler les diverses essences entourant leur pavillon ?

Leur attraction immédiate semble créer un tube d’énergie rien qu’à eux, fendant la pièce et les isolant des autres personnes présentes. Il emprunte cette sorte de couloir, foulant les tapis chamarrés d’un pas qui semble presque irréel. Elle n’a pas bougé, sûre de son attraction sur cet homme.

« Toutes les femmes aiment les fessées » dit-il en guise d’entrée en matière « même celles qui n’y ont pas encore goûté. » Puis il se retourne sans une autre parole et rejoint les autres invités. Elle, désarçonnée dans sa communication mais alléchée au plus profond de son ventre, le regarde s’éloigner.

Le repas, délicieux comme toujours chez leurs hôtes, voit défiler des plats fins et originaux dont le contenus ravit les convives. Mais un autre niveau de gourmandise relie désormais la femme et l’homme qui se font face de part et d’autre de la table décorée avec goût dans les tons crème.

Rien ne leurs échappe des regards qu’ils se lancent, de l’humidité sur les lèvres entre deux bouchées, des doigts qui repoussent une mèche de cheveux, de la poitrine qui se soulève à l’inspiration… En eux ils pressentent le parfum de l’autre, le velouté de sa peau, l’odeur de son sexe, la cadence de son bassin.

La soirée se poursuit tardivement dans une ambiance tissée de discussions enjouées et de désirs prenant de plus en plus matière. La chaleur d’un whisky Suntory dans leurs gorges allume un feu que la fumée des cigares flottant dans le salon feutré ravive encore.

Ils quittent le diner au même moment. Forcément. Dans l’ascenseur poussif qu’ils partagent avec l’un des deux autres couples, leurs corps se frôlent dans un préliminaire fugace mais fulgurant. Chacun se salue ensuite sur le trottoir déjà givré. Le couple officiel s’éloigne, prêt sans doute à détailler ensemble et sans filtre la soirée qui vient de s’achever.

L’homme et la femme longent un moment le même tronçon de rue. Il lui glisse subrepticement une adresse et un code à l’oreille avant de se couler dans une luxueuse voiture électrique rouge qui démarre en silence. Elle rejoint fébrilement son propre véhicule au rythme de ses talons qui frappent le bitume d’une belle envolée percussive.

Ils fendent tous les deux quelques kilomètres de nuit épaisse. A dix minutes d’intervalle, ils avalent en quelques enjambées le velours rouge de l’escalier de l’immeuble de l’homme. Déjà la lourde porte de chêne de l’appartement ne les sépare plus.

Un long couloir offre le regard de multiples portraits à leur effeuillage précipité et leurs respirations haletantes viennent se perdre dans la tapisserie cossue aux reflets émeraudes.

Ils sont entièrement nus avant l’entrée dans la chambre à coucher conjugale. La position de quatre pattes sur le couvre-lit surpiqué est encouragée d’une main ferme.

Attente hors du temps, quand chaque centimètre d’épiderme espère et redoute le moment où le plat de la main rencontre la rondeur de la fesse. Attente hors du temps de cette main dressée au- dessus des courbes douces qui s’offrent…

Et c’est là, dans le claquement sec de sa main aux ongles vernis de rouge qu’il goûte en effet à sa première fessée. Et se mêle à son bref gémissement la somme de leurs ambivalences au creux desquelles s’épousent excitation et interdit.

Ils ne s’offriront rien d’autre que le souvenir qui restera longtemps brûlant de cette peau qui avait rosi sous les doigts et de la rude immédiateté avec laquelle ils se séparèrent sans qu’aucun autre échange n’ait plus jamais eu lieu entre eux…

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