Rétro

Durée: 5 min 30 sec
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Rétro


 

Cela doit faire un petit quart d’heure que la Méhari nous secoue dans le Sinaï. Mon mari est assis devant, à côté d’elle. Notre guide. Je m’attendais à un homme sans âge, rompu aux visites touristiques, qui allait assurément nous mener d’un attrape-gogo à un autre. Le safari a été organisé par Sam pour nos dix ans de mariage. L’idée m’a touchée, forcément. Même si j’aurais préféré quelque chose de franchement plus exotique.

Je suis monté derrière, sans raison particulière. En bandoulière sur ma chemise en lin beige froissée et humide, mon petit sac en toile militaire me ceint la poitrine. Je me tiens à la poignée au-dessus de la portière, car la voiture brinquebale à tout va. Sam en fait de même devant moi. Mais lui en plus il a peur. Pas de ceintures de sécurité, juste nos bras qui s’accrochent…

Je suis rapidement absorbée par l’admiration de ces kilomètres ensablés, dont seuls quelques brins d’air font ça et là voleter les grains. Je sais que dans une heure la lumière changera, nous apportant le coucher du soleil promis par l’affiche à l’accueil du tour-operator.

Nous ne pouvons pas parler, le bruit du moteur ronronnant fortement entre nous trois. Elle est au volant, de main de maître. Sa concentration est totale. J’ai vu dans l’instant quelle intensité était la sienne. Elle s’était approché de nous, jeans élimé, marcel blanc immaculé, converses rouges en cuir usé. Poignée de main assurée. Mais dans sa voix une douceur de miel, roulée dans les r de ce filet d’accent arabe.

Cela doit donc faire un petit quart d’heure que la Méhari nous secoue, quand soudain je croise son regard dans le rétroviseur. Et ses yeux m’empoignent comme pour ne plus me lâcher. Ils vont de la piste à moi, semblant m’intimer l’ordre d’être à chaque fois au rendez-vous. Sam paraît n’avoir rien vu de ce petit manège. Elle ne sourit pas et je serais bien incapable de lire ses intentions, si tant est qu’elle en ait.

Mais son regard me subjugue. Juste souligné d’un fin trait de khôl marron, il traduit une forme d’assurance mêlée à la plus grande des délicatesses. Je n’ai jusqu’alors jamais ressenti ni trouble ni intérêt pour une femme. Et ce n’est certainement pas sa féminité qui m’attire à l’instant. Plutôt son aura. Je détaille la rondeur de son épaule ambrée relevée par la blancheur de son débardeur. J’imagine avancer ma main vers sa peau et caresser sa nuque.

Le soleil descend sur la permanence de dunes qui nous entoure. Le ciel se pare d’orangé et de pourpre, tandis que la Citroën poursuit son périple sous la conduite maîtrisée de notre guide. Sam me jette un coup d’œil auquel je réponds d’un sourire qui me fend la visage avant que je retourne immédiatement plonger dans les pupilles noires de notre conductrice. Mon esprit semble à présent produire des sortes de mirages sensuels tandis que ma rétine se balade sur son épiderme pain d’épices.

J’imagine son odeur alors que j’approcherais mon nez de sa nuque. Elle saisirait doucement mon poignet pour que je ne puisse plus m’éloigner d’elle. Alors je poserais mes lèvres sus sa peau salée. Elle m’embrasserait le front en penchant souplement la tête, sans lâcher la piste des yeux. Elle ferait descendre ma paume sur ses seins. Je n’oserais pas bouger mes doigts, car le contact de son téton durci sous le coton me tétaniserait.

Dans le déroulé de mon imaginaire, Sam semble avoir disparu. Elle arrête la voiture et nous nous retrouvons les pieds dans un sable dont la chaleur nous brûle moins encore que la peau de l’autre. Notre étreinte a mille mains, qui n’ont de cesse de se découvrir, de se saisir, de s’abandonner pour mieux se retrouver encore. Ses lèvres contre les miennes parcourent mon échine de frissons et m’ouvrent à elles seules les splendeurs de l’Orient.

Nos seins se frottent, semblant s’épouser à la perfection. Elle pose ses mains sur mes fesses avec cette même assurance qu’elle avait dans la conduite l’instant d’avant. Je me détache un peu de son étreinte pour plonger à nouveau dans son regard. Le soleil m’éblouit. Je me sens saisie doucement par le bras Je cligne des yeux. Quand je les rouvre, elle a disparu du rétroviseur. C’est la main de Sam sur mon poignet qui me ramène tendrement à la réalité de l’astre qui vient de finir sa course pour nous plonger dans la fraîcheur de la nuit…

 

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