Sérénade

Durée: 5 min 16″
Lien musical: Mulo Francel · Nicole Heartseeker « Our Serenade (Improvisation on F. Schubert: Ständchen) »
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Sérénade


La nuit est tombée sur la grande maison, peuplant les murs d’ombres dansantes sous le vent qui agite les arbres par les fenêtres du couloir.

Franz vient de quitter sa chambre. La chambre des Nymphes, comme le lui a précisé il y a une heure à peine le propriétaire des lieux avec une regard malicieux. Une reproduction de Lenoir donne raison au nom de cette chambre à l’ambiance douce et champêtre qui l’a ravi dès le pas de la porte.

Le jeune homme a partagé un souper léger avec ses hôtes avant de rejoindre les Nymphes, plutôt fourbu de la longue route qui l’a mené jusqu’à ce charmant petit manoir soigneusement blotti dans les bois. Un joli moment de lecture a achevé cette journée dans la sérénité.

Franz repose son roman sur le guéridon patiné à côté du large lit dans lequel il vient de s’enfoncer. L’odeur des draps propres se rajoute à leur douceur pour créer un bien-être puissant. Ses paupières alourdies par la lecture se ferment mollement, tandis que tout son corps se laisse avaler par un duvet onctueux.

Le silence de la maison est soudain traversé par la sonorité profonde et chaude d’un saxophone ténor. Franz ne rouvre pas les yeux. Il se laisse bercer par la mélodie que les vieux murs de la bâtisse lui laissent toutefois percevoir clairement. Tendant l’oreille, il cherche à définir d’où vient cette improvisation sur un air qu’il reconnait sans pouvoir le nommer.

Quelques notes répétées suite à une petite erreur lui font comprendre que le musicien est présent dans la maison et non pas véhiculé par un système audio perfectionné qui aurait pu donner tant de consistance aux sons.

L’instrument semble attirer Franz comme une bestiole de Hamelin, qui quitte la chaleur des draps pour partir en explorateur dans cette maison qui ne dort pas complétement. La lune lui sert de guide par les fenêtres du couloir qu’il longe à pas feutrés. Il est ce soir le seul invité des lieux. Il dépasse Cygnes, Apollon et la Belle Meunière avant d’emprunter le vieil escalier craquant qui mène au couloir de l’étage du dessous.

Il vient de dépasser Scène Galante, quand il sait avec certitude que la musique s’échappe de la porte suivante. Il s’immobilise et se laisse pénétrer par le son désormais tout proche. Ces impressions d’expédition nocturne font revivre en lui des souvenirs d’enfance exquis. Impromptu…parvient-il à lire dans la pénombre.

L’enfant curieux en lui chuchote à son oreille d’approcher de la serrure à travers laquelle il finit par glisser un œil. Sur la gauche, dans cet espace minuscule que permet la petite ouverture indiscrète, il aperçoit son hôte, assis sur l’accoudoir d’une bergère couleur ocre qui fait un magnifique écrin à la brillance de son instrument. Il porte ce même jean et ce même pull rouge qu’au diner, mais ses pieds sont nus, enfoncés dans le placet souple du siège. Bouche dosant son souffle. Doigts agiles sur le clétage.

Franz fait doucement pivoter son visage, le regard toujours collé à son œilleton de fortune, afin d’observer l’autre partie de la chambre. La propriétaire des lieux, blanche et nue, fait face à son mari, debout sous le voilage flouté qui domine sa couche. Son corps ondule langoureusement sur la mélodie cuivrée. Plus que sa nudité, ce sont les regards qu’elle coule à son mari qui donnent à Franz l’impression sulfureuse d’avoir pénétré leur intimité.

Il reste figé dans son observation coupable encore quelques instants. Quand l’homme pose le saxophone à ses pieds et se dirige vers le lit, Franz comprend alors qu’il doit se retirer car la sérénade a pris fin et que résonne à présent l’air des caresses.

Il est l’heure pour lui de retrouver les Nymphes, qui sauront, dans le secret de leur lit, taire la conclusion solitaire et cependant succulente de cette soirée…

 

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