Liz

Durée: 6 min 38 sec
© Dans tous les sens

Liz

 


Liz, par la voix de Marc

Je travaille de chez moi. Ou plutôt je fais souvent semblant de travailler de chez moi. Depuis le confinement, j'ai échangé l’open space du troisième étage de ma société d’assurances contre notre petit deux pièces au même étage de mon immeuble.
Ma douce, qui est infirmière, travaille régulièrement mais à des horaires irréguliers, hors de notre petit nid. Je me retrouve donc seul maître des lieux, pendant de longues heures. Le télétravail m'occupe, mais me laisse beaucoup de temps pour permettre à mon esprit de divaguer.
Aujourd'hui, le dossier sur lequel je travaille m'inspire plus que moyennement. J'ai déjà un peu procrastiné, tournant de droite et de gauche dans les quelques mètres carrés que nous avons investis elle et moi. La cohabitation de son canapé marron et de mon vieux fauteuil rouge à patchs écossais est plutôt réussie.
Quelques allers-retours réguliers à la machine à café derrière le bar qui me sépare du coin cuisine, quelques caresses au chat qui ne demande que ça, le lancement d'une lessive de blanc que j'avais oubliée hier et que ma douce m'a rappelé avec une tendre fermeté ….voilà ce qui m'a occupé depuis son départ.
Je laisse trainer mes yeux le long des murs que décorent quelques photos de vacances, une affiche souvenir d'un concert vu ensemble. Soudain, mon regard est attiré par une lumière qui s'allume dans l'immeuble d'en face. Je n'ai jamais spécialement fait attention à notre voisinage, passant jusqu’alors mes journées au travail ou plutôt à l'extérieur de l'appartement.
Mon zèle à travailler étant toujours très relatif, je m'approche de la fenêtre et tire légèrement le rideau pour pouvoir me cacher derrière. Le frôlement du tissu contre ma joue est comme une caresse, comme un doudou d'enfance, et je m'en trouve tout surpris.
Sur le rectangle lumineux qui s'est ouvert dans la façade grise de l'immeuble d'en face commence alors le ballet d’une ombre qui me prend à son jeu. Un voilage est tiré là-bas, et je ne peux qu’apercevoir une forme peu distincte qui va et qui vient à ses activités quotidiennes.
Mon cerveau, ralenti par la répétitivité de mon travail, trouve soudain une étincelle piquante dans l'élaboration de scénarios relatifs à celle dont j'ai rapidement déduit qu'elle était une voisine et non un voisin.
Je l'observe durant quelques longues minutes, avant de retourner à ma tâche rébarbative. Le soir, lorsque ma chérie rentre, je ne pense pas un instant à cette forme observée et pourtant troublante, qui a occupé une partie de mon après-midi.
Les jours suivants, le ballet recommence. Et je dois avouer une envie tous les jours grandissante de coller mon nez contre la douceur du rideau et d’observer celle dont les allers-retours finissent par me devenir familiers.
Ce matin-là, mon cœur s'emballe, voyant que le voilage n’est pas tiré. De mon poste d'observation, la vue dès lors est bien meilleure. La femme est là. Je la distingue cette fois beaucoup mieux. Je découvre ses longs cheveux blonds, ses petits seins, ses longues jambes. Je fais connaissance avec un jogging gris peuplé de nounours roses que je le que je lui verrai souvent porter.
Pendant plusieurs jours, me voilà chanceux, car le rideau d’en face reste bien ouvert. À tel point qu’un mardi, vers quinze heures, elle finit par me voir. D'abord d'un coup d'œil rapide, puis d'un franc regard appuyé à travers lequel nous nous observons effrontément. Ce jour-là, elle ne porte pas les nounours. Un legging noir et un débardeur du même ton moulent son corps. Sa crinière blonde est attachée par un crayon à l'arrière de sa tête.
Elle ne semble pas effarouchée par notre face-à-face, par mes yeux dans les siens, par ma silhouette qui s’est clairement détachée de mon poste d’observation. Je lève une main et agite mes doigts dans ce qui se veut être un salut amical.
Elle en fait de même, mais son geste est vite arrêté par l'arrivée inopinée d'un homme qui la prend par la taille et lui embrasse le cou. J'ai juste le temps d'apercevoir ces instants volés de tendresse, avant de retourner prestement à ma cachette. L'homme tire le rideau. Fin du premier acte.Pendant pas loin de deux semaines, j'attends presque en trépignant le commencement du deuxième acte. Le lever du rideau se fait enfin, et je ne peux lui cacher un sourire immense qu'elle me rend bien. Jamais nous ne nous sommes aperçus dans le quartier, je ne sais rien d'elle, elle ne sait rien de moi, et pourtant notre petit manège nous a quelque part réunis.
Je lui fais signe d'attendre en lui montrant le plat de ma main, file à mon bureau, griffonne en majuscules rouges les cinq lettres de mon prénom et reviens à la fenêtre pour les lui montrer. Elle me rend mon geste du plat de sa main puis, figure de ses doigts les lettres L I Z. Ce jour-là, notre échange n'est pas interrompu par l'arrivée de l'homme.Acte trois. Nos échanges de prénoms datent de la veille. Le lever du rideau s’accompagne ce jour d’un « Hello Liz ! » que je surarticule, auquel elle répond en surarticulant tout autant mon prénom. Soudain, pris d'une audace que la rue qui nous sépare m’autorise, je lui fais signe de baisser la bretelle de son débardeur. À ma grande surprise, elle s'exécute immédiatement. Je lui indique de faire pareil avec l'autre bretelle. De sa propre initiative, elle fait alors glisser le petit bout de coton jusqu’à ses pieds. Ce faisant, elle se penche en avant et j’aperçois ce triangle de peau qui s'assombrit entre ses seins.
Encouragée dans mon élan par sa docilité, je désigne son pantalon de jogging qui file rejoindre le débardeur au sol. Elle se tient désormais devant moi en sous-vêtements avec sur le visage, une timidité mêlée de provocation qui me file une érection terrible.
Le lendemain c’est intégralement nue que je la vois apparaître. Comme dans un théâtre de marionnettes pour adultes, je mime sur mon propre corps les caresses que je veux lui voir faire sur le sien. Et elle obéit. Mes gestes deviennent précis. À un moment donné je la perds, car la recherche de son plaisir prend le pas sur les ordres tacites que je lui donnais.
Le vitrage et les mètres qui nous séparent ne me permettent pas d'entendre sa jouissance, mais mes yeux n'en perdent pas une miette jusqu'au moment où, au dénouement fatal, l'homme revient et nous surprend. Le rideau est depuis resté tiré ….

Avis

Il n’y a pas encore d’avis.

Soyez le premier à laisser votre avis sur “Liz”

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *