Superpoderosa

Description

Superpoderosa

Ce n’est qu’un mot. Un mot écrit. Pas même un mot prononcé que le timbre de la voix de l’autre aurait pu remplir de trouble. Un mot qui la cueille par surprise au détour d’un message sur l’écran de son téléphone.

Bien sûr que sa sémantique a de quoi au moins la flatter. Mais ce n’est pas ce qu’elle identifie comme source de son émoi. Une prononciation à la française lui apporte vite un sourire en lèvres. C’est un « pot de roses » qu’il lui envoie. Et un super qui plus est. Comme un bouquet énorme qui sortirait de l’écran à la manière d’une jolie girl jaillissant d’un gâteau géant dans Lucky Luck.

Mais ça c’est déjà ce qui arrive en second à la découverte du message. Avant, comme bien avant, tant l’irruption du phénomène est puissant, ce mot apporte sa musique, qui lui est propre. Ses cousins français ou anglais ont certes la même syllabe d’attaque. Mais la langue de Molière heurte les oreilles avec la sécheresse de ses « r » tandis que celle de Shakespeare remplit la bouche comme une chewing gum démesuré. Elle sait déjà que ses sens vont se déchainer dans le sillage de ce mot.

En effet, elle peut, en une fraction de seconde, voir ses lèvres à lui prononcer le mot dans sa splendeur espagnole.

Ses lèvres qui se tendent souplement, semblant quémander un baiser dans ce …SU

Sa bouche qui se referme doucement pour lancer une consonne explosive toutefois aussi tendre qu’une joue de bébé…PER

Elle imagine parfaitement ce mouvement qui se réitère pour la syllabe suivante…PO

Ensuite ce « DE » suave qui ouvre la porte à la fin de l’adjectif pour laquelle elle peut voir sa langue qui roule dans sa bouche entrouverte, pour en faire de même avec la lettre « r »….ROSA

Le mot atterrit dans son imagination comme une plume. Elle se le répète à mi-voix, pour en goûter le délice dans sa propre bouche. C’est alors que sa voix à lui vient en elle. Sa voix qui le lui susurre, qui le lui chuchote, qui le lui dit et le lui répète, qui le lui chante, qui le lui crie, qui le lui hurle !

Elle sait sa bouche entourée de poils tout doux qui forment comme un écrin à ses paroles, le timbre exact de sa voix parlée et de sa voix chantée. Elle sait même son larynx qui bascule quand la mélodie monte, puis le grain de sa voix qui s’arrondit dans sa tessiture de confort. Elle sait ses yeux clairs qui se troublent sous l’émotion. Elle sait l’odeur de ses baisers et la chaleur de la peau de ses joues.

Alors le mot s’empare d’elle. Parce qu’il a ouvert l’évocation de leurs baisers, et que tous ses sens se sont précipités dans la trouée. Se précipitent alors la chaleur et l’intensité de l’étreinte, la solidité du buste et la légèreté de ses mains dans son dos.

La suite est une cascade inarrêtable de pensées affolantes. Leurs peaux qui se retrouvent enfin, rendant supplice les vêtements qui il y a peu les séparaient. La musicalité parfaite de l’ébat qui voyage entre l’allegro et l’adagio, en empruntant des rubato d’une harmonie parfaite.

Les corps qui s’échauffent, les souffles qui s’emplissent de ces sons que seules des âmes touchées génèrent. Les moments de calme et ceux de passion qui s’alternent comme dans une composition sublime. Les mains qui se font caresses et celles qui saisissent. Les hanches qui s’entrechoquent ou se bercent. Ces moments où donner et prendre ne veulent plus rien dire tant la fusion est merveilleuse. Leurs corps qui exultent sans même plus pouvoir identifier l’orgasme du reste de leurs caresses tant leur complétude fond tout en son sein. La fraîcheur des draps qui a disparu…

Le mot a ouvert la boîte des souvenirs et celle des projets qui ne font plus qu’un à ce moment-là aussi. La ligne du temps se trouble. La notion de lieu s’évapore. L’univers est là résumé dans leur enlacement.