400 asa

Durée: 6 min 33 sec
Lien musical: Brice Choplin « 400 asa »
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400 asa

d’après le titre éponyme de Brice Choplin


 

« Je suis douée d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire. » Gustave Flaubert

Le bout de son pied droit glisse hors de la chaleur des draps. La fraîcheur de l’air lèche ses orteils pour remonter en frissons le long de sa jambe et courir jusqu’en haut de son échine. Il enfouit à nouveau son pied sous la chaleur du lourd édredon à carreaux bleus et blancs.

Un rai de lumière jaune perce les épais rideaux de sa chambre d’enfance qu’il retrouve toujours avec tendresse. Le coton tissé des draps de chez sa grand-mère a une matière qu’on ne retrouve plus de nos jours, et ce léger frottement contre la peau porte avec lui son lot de souvenirs.

Quelques minutes le tiennent encore dans le cocon du lit, mais bientôt une forte odeur de café grimpe de la cuisine. Il pose un pied au sol et le parquet noueux vient en saluer la plante. Il regarde ses jambes si longues à présent, et se rappelle ses mollets ballants le long du cadre de lit, avant qu’il n’en saute lorsqu’il était petit garçon.

Il reste encore un moment assis, immobile, le regard mollement fixé sur les vieilles photos dans les cadres qui ornent la commode en face de lui.  Tandis que dans sa tête les images se bousculent. Sa mère lui portant un bol de bouillon dans ce même lit lorsqu’il était souffrant, Mamie lui amenant une assiette de tartines et du chocolat chaud pour les y tremper pendant les grandes vacances. Et puis Joelle bien sûr. Joelle passant cette porte dans sa robe de nuit de ce même draps tissé. L’image est intacte en lui, gravée au plus profond de la mémoire des douceurs.

Sa cousine et lui étaient bien souvent en vacances ensemble. Tous deux enfants uniques, leurs frère et sœur de parents profitaient de la grande maison familiale pour les envoyer prendre un bon bol d’air marin et jouer tous les deux ensemble depuis leur plus jeune âge. Sous la houlette d’une grand -mère toujours aux petits soins.

Nu au bord de son lit, un Alex adulte au large torse duveté de noir, vient de démarrer la machine à remonter le temps. Et son corps semble en être transporté tout entier. En bas, Mamie se délecte d’un de ces pianistes de jazz qu’elle affectionne. Comme d’habitude.

Les cousins étaient tous deux au creux de leur adolescence, gênés par ces corps qu’ils ne reconnaissaient plus. Aux détours de leurs jeux de toujours, parfois ils se frôlaient. Les joies simples de l’enfance se paraient d’émois jusqu’alors inconnus. Les baignades avaient un autre goût que celui de la seule excitation de sauter dans les vagues. Tout semblait plus intense, plus piquant, plus remuant. Ils pouvaient pratiquer pendant des jours entiers ces jeux de provocation permettant ensuite un rapprochement des corps sous prétexte de se venger de l’autre, en lui sautant dessus ou en le chatouillant.

Se couchant parfois dans le même lit, ils avaient tant de fois retardé le sommeil en se racontant des histoires délicieusement effrayantes. Ils en avaient ri et tremblé ensemble. A présent, on leur interdisait de faire chambre commune. Ils n’avaient pas vraiment compris pourquoi…

Cette nuit-là, au milieu des vacances de Noël, Joelle avait quitté sa chambre et avancé pieds nus le long du couloir dont elle connaissait chaque lame de parquet craquante. Sur le mur, les portraits des anciens, en noir et blanc, sauraient taire son incartade. Aucun plan nocturne n’avait été élaboré par les cousins. Mais, peinant à trouver le sommeil, Joelle avait décidé de rendre une visite à son complice d’aventures. Elle n’avait pas frappé, sachant le sommeil de Mamie aussi léger que son oreille n’était fine.

Alex entendit la poignée qui s’abaissait et, dans la pénombre, se dessina une forme claire qu’il reconnut dans l’instant. Sa cousine franchit les quelques mètres qui la séparaient de la porte. Elle était désormais debout sur le tapis râpeux à droite du lit. Alex détestait ce tapis. Depuis sa tendre enfance il sautait par-dessus pour éviter le contact avec sa trame rugueuse.

Il sentit l’odeur de Joelle, mélange de notes florales et de chaleur des draps. Et ce parfum l’affola. Il l’avait respiré tant de fois ces derniers jours de manière fortuite. Il avait à présent follement envie de s’en griser sans limites. Il tendit un bras vers elle et enserra doucement son poignet. Sa peau était d’une telle douceur…

La jeune fille s’assit au bord du lit. Alex se redressa et vint appuyer son torse contre son dos. Et ils restèrent de longs instants ainsi, leurs rythmes cardiaques semblant se synchroniser dans cette bulle douce et secrète. Tous leurs sens étaient en alerte et semblaient décuplés. Les odeurs étaient insupportablement délicieuses, les peaux trop douces dans des tissus trop râpeux, le silence de la nuit criant d’intensité…

Les notes de piano montant de la radio de sa grand-mère dans la cuisine viennent tirer Alex de sa rêverie. Ses yeux sont plein de larmes. Et l’excitation qu’il avait ressenti cette nuit d’hiver-là est intacte . L’envie charnelle supplante celle d’un café brûlant. Et il y succombe, seul dans les draps tissés…

 

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