A tiroirs perdus

Durée: 5 min 25″
Lien: Performance de Pierre-Yves Diacon et Anne Laure
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A tiroirs perdus


D’après la performance éponyme de Pierre Yves Dacron et Anne-Laure

Le crépuscule tombe doucement autour de la maison de Laurette. Elle n’est pas remontée au grenier depuis longtemps. Cela fait des jours qu’elle cherche cette nappe rouge orangé. Et en débarrassant la table ce soir, elle s’est demandé si elle n’était pas dans la vieille commode qui dort sous le toit.

Elle est pieds nus. Elle monte prudemment la volée de marches qui l’amène dans les combles et sa main glisse le long de la rampe de fer forgé martelé pour assurer son pas. L’interrupteur accède immédiatement à sa demande et apporte une lueur douce et jaune dans le grenier. La commode est juste en face de la femme, sous la lucarne.

Sur le haut du meuble, l’horloge reçue à leur mariage. Elle a longtemps trôné dans le salon, égrenant des heures amoureuses et familiales pleines de joies. Son mouvement s’était arrêté un peu plus d’un an après le départ de Pierre et sa femme l’avait amenée ici. Incapable de la faire réparer et encore moins de s’en débarrasser.

Laurette se penche et tire lentement sur la poignée du troisième tiroir. Il s’ouvre facilement et la femme en balaye le contenu du regard. Son vieux sac blanc, une culotte en dentelle rose pâle, quelques coquillages, un sautoir en nacre.  Elle prend dans sa main un sachet de kraft vide. Le léger bruit du papier qu’elle défroisse agit comme une lampe d’Aladin qui allume dans sa mémoire un souvenir d’une douceur infinie. Elle suit le fil de ses souvenirs et trouve Pierre assis contre un arbre au sommet du Mont Pèlerin. Ils ont beaucoup marché. Elle lui tend un sandwich qu’il sort du sachet avant de la gratifier d’un regard amoureux. Leurs corps humides et fourbus de l’effort qui se ruent l’un sur l’autre. Son homme qui entre en elle avec ce mélange de fougue et de tendresse qu’elle aime tant. Le sachet est roulé en boule à leurs pieds.

La femme le repose et ouvre le quatrième tiroir. Elle promène sa main dans des vieilles peluches des enfants. Et soudain elle sent quelque chose de dur et froid. C’est une petite bouteille de sable. Elle est à Oléron. Son corps bruni repose sur une serviette éponge rayée de blanc et turquoise. Pierre est parti nager. Elle somnole. Quelques gouttes fraiches la tirent de sa torpeur. Son mari est debout entre le soleil et elle. « Tu me fais une place ? » demande-t-il avant que de venir allonger son corps frais et mouillé contre celui tout brûlant de Laurette. Le contact de leurs peaux aiguillonne leur sens. Dans ce lieu public, impossible toutefois de donner libre cours à leurs désirs. Alors ils se font l’amour dans un délire de mots chuchotés. Ils se connaissent si bien que leurs corps complices traduisent en sensations intenses toutes ces phrases coquines. Portrait de leurs bassins qui s’entrechoquent, de leurs mains qui s’agrippent, de leurs fesses qui balancent.

Dans le second tiroir, elle retrouve à présent un de ses carnets de croquis. Elle en tourne quelques feuillets et les traits de graphite prennent vie dans son esprit. Combien de fois a-t-elle croqué son mari posant patiemment nu devant elle, dans ce même grenier qui était à l’époque sa pièce-atelier ? Ses cuisses longues et bien dessinées, la courbe de leur musculature. Son ventre et la marque de ses aines. Son sexe à peine caché sous sa main droite. Ses épaules, le petit creux au milieu de son torse où elle aimait déposer des baisers. Ses mains…sublimes…Le dessin est terminé, le modèle se lève. Il bande. Elle l’aime.

Seul le tiroir du haut n’a pas encore révélé ses secrets. Il ne renferme qu’une seule chose. Un vêtement de Pierre. Une de ses chemises trop grandes pour elle, mais dans lesquelles elle aimait se promener nue dans la maison. Un peu comme si son homme la tenait sans cesse dans ses bras. Elle enfouit son nez dans le coton, espérant en vain que le tissu lui offrirait le parfum de son mari disparu. Tout comme la moindre trace olfactive. Elle ferme les yeux et compte jusqu’à cent. Comme un rituel magique qui ferait revenir l’odeur tant aimée. Sans succès.

La femme ôte alors lentement ses vêtements et, traversée de frissons,  fait glisser la chemise sur son corps nu. Puis ses mains de ses seins à son bas-ventre, dans une longue caresse qu’elle imagine de lui. La nuit est tombée autour de la maison de Laurette et elle jouit….

 

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