Faire salon….

Durée: 6 min 16″
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Faire salon…


 

Nora déteste ces lumières artificielles. Celles-ci lui font au moins grâce d’un sifflement, ou d’un quelconque bruitage répétitif. Mais la froideur de l’éclairage bleu-blanc lui glace le dos. Alors elle cherche des échappatoires, des subterfuges, pour éviter que son cerveau ne lui relance en boucle que la lumière est immonde. Elle glisse sa paume le long du tissu doux de sa jupe. Sent sa cuisse en dessous. Elle humecte sa bouche pour raviver le gout melon de son baume à lèvres…

Elle a présenté son dernier roman il y a une dizaine de minutes dans la tribune des écrivains. Un des bénévoles est en train de mettre en place sa table de dédicaces. Perchée sur ses bottines fétiches, dans lesquelles elle se sent si bien et si pleine d’assurance, elle est appuyée contre un poteau de béton légèrement granuleux en attendant de pouvoir s’asseoir.

On installe Nora a une table très bien située. Elle est presqu’au centre de tous les auteurs présents. La chaise est, ô délicieuse surprise, dotée d’un coussin en velours bordeaux qui lui apporte enfin un peu de confort bien apprécié, tandis que les néons crachent toujours leur jour artificiel. L’écrivaine fait un signe de la main à quelques têtes connues ou qui la reconnaissent.

Elle sort son stylo. Ce vieux Mont-Blanc qui glisse si bien sur le papier, avec un poids et un équilibre parfaitement dosés et dont la prise en main est toujours un bonheur. Nora enchaine quelques signatures sans grand investissement. Les formules sont bien souvent les mêmes, et pourtant elles semblent ravir ceux qui repartent avec.

Le rythme des autographes diminue un peu, à mesure que l’heure de sa présentation s’éloigne. C’est alors que l’ennui la saisit. Or il reste encore plus de soixante minutes de paraphage.  Elle déteste ça. Il est donc temps de se livrer à son trompe-attente favori.

La première personne à se présenter à ce moment-là devant elle est une businesswoman à l’air plutôt strict et coincé. Nora lui dédicace son livre, mais, au lieu de fermer l’ouvrage et de le lui tendre, elle attrape doucement le poignet de la femme et plonge ses yeux dans les siens. Le jeu consiste désormais à garder la main dans la sienne assez longtemps pour parvenir à élaborer un scénario excitant, ce que son cerveau surentrainé parvient à faire plutôt prestement…elle imagine….

… que la femme ouvre sa mallette et sort un bandeau de soie noire. Elle enlève son chemisier et se caresse avec ce tissu d’une douceur qui la fait frissonner. Ses seins durcissent sous le câlin soyeux

Nora referme le livre et le rend à la dame qui a l’air fort satisfaite de ce petit moment avec une auteure qu’elle adore. Retour à l’attente, mais pour un moment assez bref. C’est un couple plus jeune qu’elle qui se présente. Elle a à peine le temps de distinguer leurs visages, que déjà son imagination dérape tandis que le Mont-Blanc fait sagement son travail…elle imagine…

…qu’elle est dans le salon du couple, sur leur canapé bon marché, entre eux deux. Elle sent qu’ils sont gênés par sa présence assumée. Elle pose sa main droite sur la cuisse de la femme, la gauche sur celle de l’homme. Leur gêne l’excite. Ils se penchent l’un vers l’autre comme pour y trouver une réponse à leurs interrogations. Nora ne leur en laisse pas le temps, saisissant alternativement leurs bouches dans des baisers sans équivoque…

Une dizaine de minutes s’écoulent encore avant que ne se présente un très grand homme avec un sweat à capuche orange. Premium, c’est écrit. Nora laisse divaguer un instant ses yeux sur les lettres blanches joliment liées de l’inscription. Le torse de l’homme et ses bras remplissent solidement le vêtement. Les pensées de l’écrivaine s’emballent. Elle imagine…

…que le géant l’a soulevée du sol pour la prendre dans ses bras. Elle entoure sa taille de ses jambes. Ils se serrent fort. Leurs respirations fendent l’air avec puissance. Il descend ses mains sur ses fesses, qui commencent à s’agiter dans cette danse du « oh oui continue ». Le bassin de l’homme répond à’ l’invitation ondulatoire avec une érection assurée. Le pull orange est à terre. Le torse de l’homme est lisse et fermement bombé. Nora y promène sa main. Il en fait de mêmes sur ses seins.

L’homme la regarde avec incompréhension car Nora ne lâche pas l’exemplaire de son roman dédicacé qu’elle vient pourtant de lui tendre. Comme quand au matin on peine à sortir d’un rêve qu’on ne veut pas quitter, la femme s’accroche à ses fantasmes. Elle imagine encore …

…qu’ils sont tout les deux nus au centre de ce salon littéraire …que, défiants les regards des visiteurs gênés, ils font l’amour sauvagement sur la table de dédicacesque les piles de livres tombent sous les coups répétés de leurs corps qui exultent… « Vous avez fini ? »

« Vous avez fini ? » lui répète-t-il. Nora peine à reprendre ses esprits. Fiction, fantasmes et réalité se mêlent dans la tête de la romancière quand ses yeux croisent une dernière fois ceux de Monsieur Premium qui récupère son ouvrage dédicacé.

Le bruit des néons est revenu…

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