Faisons-nous une toile

Durée: 6 min 27 sec
© Dans tous les sens
Liens musicaux: Harry Connick Jr.  « Recipe For Love » ;  June Christy  « It’s A Most Unusual Day » ; Jaimee Pau  « Somewhere Over The Rainbow« 

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Faisons-nous une toile


Serge appuya le volumineux paquet contre sa jambe gauche afin de chercher la clé de l’appartement dans sa poche. Elle sembla se refuser à lui comme pour venir encore gonfler son impatience.

Enfin le petit sésame de métal fut extrait de son jeans serré et introduite nerveusement dans la serrure. Serge ne prêta pas attention au cliquetis du pêne tant il était empressé de retrouver Tamara. Mais elle n’était pas encore rentrée. Etonnamment, son absence n’agaça pas Serge qui y vit une occasion de souffler et de faire encore un peu durer le plaisir de dévoiler son achat.

Il glissa le châssis derrière le canapé et déposa son téléphone dans l’encoche de l’enceinte Bluetooth qui l’accueillit aussitôt avec la voix chaude d’Harry Connick Jr. « Recipe for love »…comme si son appli musicale avait comme par magie fait le bon choix. Profitant de sa solitude momentanée dans le salon, Serge esquissa quelques pas, s’amusant lui-même à singer les danseurs de claquettes des années 30.

Il s’arrêta, presque essoufflé mais joyeux comme un gosse, en entendant à nouveau une clé pénétrer dans la serrure. Tamara était de retour. Serge plongea dans le canapé et adopta une attitude décontractée donnant l’impression qu’il s’y prélassait depuis de longues minutes. Tout sourire.

Tamara lui déposa un rapide baiser sur les lèvres avant d’envoyer dinguer ses escarpins à l’autre bout du salon et de venir s’enfoncer à côté de lui dans le dacron. Chacun goûta avec délice ces instants de retrouvailles…quand toute l’agitation du jour retombe dans le moelleux du chez-soi…

Tournant légèrement son visage vers Serge, Tamara lui glissa facétieusement quelques mots détonateurs : « Alors c’est pour ce soir ?.... ». Il ne put retenir son sourire de lui fendre largement le visage et de plisser ses yeux de malice.

Comme dans un ballet bien réglé malgré le caractère semi-improvisé de la choses, il sortit la toile de sa cachette tandis que sa douce allait chercher un sac de papier kraft dans le placard de l’entrée. Elle en sortit une bâche qu’ils étendirent sur le kilim après avoir poussé la table basse sur le côté. Ils ne parlaient pas, laissant à présent June Christy occuper le paysage auditif avec son « Most unusual day ». Hasard, synchronicité ou connexion à leur projet du soir de la part de l’intelligence artificielle ?

Ils disposèrent les trois tubes de couleurs primaires sur la bâche et partirent d’un grand éclat de rire. Qui redoubla tandis que chacun commençait à se déshabiller dans un simulacre de striptease au rythme de la musique qui les enveloppait.

Devant le corps mis à nu de l’autre qui tanguait, la parodie commença à prendre des airs de plus en plus sensuels. Les rires firent place à des sourires amusés, pour enfin s’ouvrir sur des mines reflétant un désir en plein essor. Les ondulations se firent plus soyeuses et provocantes.

Quatre pieds nus foulèrent alors le plastique frais de la bâche, jusqu’à les corps tout aussi nus de Tamara et Serge se retrouvent collés l’un contre l’autre pour partager quelques grandes respirations troublantes et émouvantes.

L’enceinte continuait de déverser son lot de sucreries suaves tandis que Tamara déboucha le tube de jaune. Elle s’en enduit les mains qu’elle vint poser contre le torse de son homme avant de les y faire glisse lentement vers son bas-ventre. Celui-ci décapuchonna le cyan et en fit couler un long trait entre les seins de sa belle. L’enlacement qui s’en suivit vit apparaitre des dégradés d’émeraude sur les corps des amants. Leurs caresses colorèrent lentement des épaules, des dos, des cuisses, des fesses, des joues…

Serge coucha la toile au sol et la zébra d’un éclair magenta jailli du troisième tube. Il tendit une main colorée vers celle de Tamara et l’invita à s’allonger précautionneusement avec lui sur le lin tendu. Ils se rassirent presqu’aussitôt, intrigués de voir leurs premières empreintes….ovales de croupe au vert persan, avant-bras tacheté de rouge..

Ils s’allongèrent à nouveau et se laissèrent déraper doucement sur la gouache onctueuse qui leur faisait matelas. Nouvel éclat de rire quand « Somewhere over the rainbow » leur sauta aux oreilles. Les corps secoués d’un rire qui devint fou-rire semblèrent alors traversés d’une intensité nouvelle. Chacun de leurs mouvements imprima son rythme et sa trajectoire sur la toile. Glissés fougueux de cuisses, roulés fous de bassins, tracés intenses de doigts qui s’accrochent au tissu dans la puissance de l’étreinte.

Ils laissèrent définitivement loin derrière eux le tempo paisible de Jaimee Paul dans une explosion de jouissances et de pigments. Nus et maculés, ils reprirent bien plus tard esprit et souffle, assis devant la toile qui, bien que très abstraite, serait toujours pour eux la trace d’une conjonction sublimement concrète…

 

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