Sens-moi

Durée: 6 min 28″
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Sens-moi


 

J’ai toujours détesté ces trucs. Être au centre de l’attention. Participer d’une liesse collective qui ne me touchait généralement pas. J’avais déjà réussi à échapper à l’enterrement de vie de garçon, qui remportait à mes yeux la palme de ce que je détestais le plus dans les habitudes liées aux mariages. Mes amis m’en avaient fait grâce et ils avaient toute ma reconnaissance.

La cérémonie avait été simple et belle. Camille était magnifique dans sa robe vieux rose. Sa tenue s’accordait parfaitement à cette femme d’une douceur d’ange qui était désormais la mienne. La petite mairie de notre village s’était parée de fleurs des champs sous la houlette de nos deux mères qui s’étaient donné la main pour préparer un mariage tel que nous en rêvions. Et le décor qu’elles avaient également concocté dans notre grand jardin avait permis à la noce de se poursuivre entre notes champêtres et joies innocentes.

Avant les desserts, ma cousine Véronique avait pris la parole pour demander l’attention de tous. Quelque chose en moi s’était glacé. Comme si je savais que la suite me serait profondément inconfortable. Le jeu qu’elle avait proposé consistait à avoir les yeux bandés et à renifler le cou d’une rangée de personnes de l’assistance afin de retrouver sa moitié.

Camille s’était prêtée au jeu la première, remisant quelques pointes de timidité avec force bonne volonté et sourires charmants. Elle avait aisément reconnu le parfum qu’elle m’avait offert quelques semaines auparavant, à l’occasion de la reddition de mon mémoire sur les phytoplanctons. Et puis cela avait été mon tour.

Mes joues empourprées avaient fait rire sous cape,  mais le regard encourageant de ma fraiche épousée m’avait permis d’avancer au centre du cercle formé par les invités. Véronique m’avait bandé les yeux avec un plaisir non dissimulé et des gloussements faisant montre qu’elle ne percevait rien de ma gêne.

Je savais maintenant devant moi sept femmes, dont celle avec laquelle le maire m’avait uni il y avait quelques heures. Il allait falloir que je la retrouve, parmi six autres parfums. Je n’avais absolument aucune envie de me prêter à ce jeu, et encore moins sous le regard de l’assistance. Véronique me fit avancer vers la première candidate. Je me penchai, les mains dans le dos tel qu’on me l’avait demandé. Le premier parfum me déplut passablement. Mais je me surpris moi-même à ressentir les choses avec beaucoup de discernement, comme les si les odeurs me parlaient, en me décrivant de nombreuses nuances qui faisaient comme un tableau dans mon esprit.

La deuxième femme n’était pas Camille non plus. Mais son parfum était plutôt agréable. Et le tableau mental qui se forma immédiatement mit un sourire sur mon visage. Il y avait de l’océan, du vent, un vieux mur de pierre, de la liberté, du bleu.

Je passai à la troisième et mon sourire se figea sous l’impulsion d’une vague d’émotion renversante. Ce n’était pas le parfum de Camille. Mais celui d’une femme dont l’identité m’était inconnue et qui me bouleversa dans l’instant. Je fus traversé d’envies de la prendre dans mes bras, d’enfouir mon visage dans son cou, de caresser ses cheveux. Sans aucune volonté de ma part pourtant, mon imagination se mit à peindre la suite dans un délire baroque de peau, de tissus, d’opulence, de fruits mûrs qui éclatent dans la bouche. J’eus l’impression de rester des heures penché vers celle dont le parfum m’avait ainsi affolé les sens.

Je sentis les mains de ma cousine sur mes épaules, pour me diriger vers la suite du jeu. Je sentis à peine la numéro quatre tant la troisième avait capturé mes perceptions. Camille était en cinquième position et je la reconnus si rapidement qu’on me libéra de respirer encore les deux dernières.

Le reste de la fête se déroula sans anicroches ni autre occasion de honte pour moi. Toutefois, mon nez était en alerte, et une part de moi nourrissait en son sein des scénarios parfumés, sur lesquels je tentai de mettre un visage à chaque fois que j’en eus l’occasion tout au long de la soirée.

Et le moment tant attendu arriva alors que peu à peu tous les invités prenaient le chemin du retour, ne manquant pas de venir saluer les jeunes mariés avant que de ce faire. Je me prêtai à ces salutations d’usage avec une bonne volonté qui devait beaucoup à la fatigue. Et soudain la rafale me saisit à nouveau quand Sybil, une des collègues chère à Camille, se pencha pour lui faire la bise. Elles étaient toutes les deux à quelques centimètres de moi. Mais leurs parfums vinrent en même temps frapper à mes narines, avec une puissance émotionnelle de bélier du Moyen Age.

Dans ma tête elles étaient nues, offertes toutes les deux au plaisir de ma vue. Elles se caressaient par petites touches subtiles et se picoraient de baisers plus légers encore. Je clignai des yeux pour faire disparaitre ces visions, dont je craignais que chacun ici présent ne s’en aperçoive. Mais elles revinrent de plus belle, me faisant entrer dans la scène pour joindre mes caresses et mes baisers aux leurs.

Sybil était de dos, je la voyais maintenant s’éloigner sur le petit chemin de gravier dans un discret craquement de petites pierres. Camille me prit le bras. Je tournai mon visage vers elle, pour lui sourire. Son regard était tendre et brillant…comme si elle avait su. Je l’embrassai dans le cou, pour refermer momentanément ce nouvel ouvrage de mes fantasmes à plein nez…

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