Vibrations

Durée: 6 min 06 sec
© Dans tous les sens
Lien musical: Pablo Murgier « Gare du sud »

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Description

Vibrations

 

 

Hommage platonique et agrée à Pablo Murgier, pianiste et compositeur de grand talent
La salle s’assombrit. Le pianiste entra. La femme ne le connaissait pas. Pas même de réputation. Il était jeune, la trentaine sans doute, avec un regard doux et sensible. Elle était placée comme elle savait aimer l’être, de manière à voir les mains se promener sur le clavier. Au plus près des vibrations que seule la musique en direct est à même de procurer.Les gélatines jaunes et bleues des projecteurs vinrent entourer le demi-queue d’un cocon de lumière chaude. Le noir vernis du couvercle relevé se para des reflets cuivrés des cordes qu’il dévoilait. Vêtu d’un jean et d’une simple chemise de toile, la tenue du pianiste émouvait de simplicité dans ce bain de brillances.

Il s’assit et prit ce temps suspendu durant lequel l’artiste convoque sa magie propre. Piazzolla et ses compositions à lui étaient au programme. C’est bien évidement Astor qui avait attiré la femme. Elle était immobile, elle aussi suspendue à l’arrivée des premières notes, dont elle savait très bien l’importance du verdict. Son intuition et sa sensibilité musicale, que des années de pratique instrumentale étaient encore venu étayer, lui faisaient savoir dès les premières mesures si l’émotion serait au rendez-vous.

Sans emphase inutile, la tête légèrement penchée vers l’instrument, le musicien éleva lentement ses mains, dans une inspiration imperceptible, et fit résonner les premières notes de « Inverno porteno ». La femme sut immédiatement que le concert serait magnifique, les émotions délicieusement bouleversantes.

Le toucher du jeune virtuose était tout ce que la femme adorait. Parfait équilibre d’attaques au mordant bien dosé et de moelleuses résonnances. Les vibrations que le jeu et le mécanisme imprimaient à l’instrument étaient répercutées par le plancher de la scène et semblaient suivre les veines du bois pour aller se perdre dans les rangées du public.

Assise au deuxième rang, le femme n’en perdait rien. Les notes baignaient ses oreilles et son corps était traversé des ondes délicieuses que la musique, véhiculée aussi par la matière, lui procurait. La conscience qu’elle avait de la chance d’une telle sensibilité venait encore accroitre son sentiment d’émerveillement.

Elle savait la frontière mince entre le moment magique et le simple « très bon moment ». Au fil du temps et de ses expériences de musicienne et de danseuse, elle avait percé à jour son nectar musical. L’élément qui la bouleversait n’était pas la précision d’interprétation ou la prouesse technique. C’était la qualité et la juste durée des respirations et des ralentis.

Le tango, celui qui s’écoute autant que celui qui se danse, en est truffé. La voix humaine, les sonorités instrumentales, le corps des danseurs unis dans leur abrazo ne font que ça ; respirer, suspendre le temps et adopter à chaque seconde le juste tempo de l’instant présent.

Le pianiste avait fait succéder son sublime « Domingo » à l’hiver de Piazzolla. Sans savoir bien sûr que cette saison avait le même âge que la femme dont il ignorait tout du trouble à quelques mètres du piano. Lui il était dans sa musique. Si intensément dedans, tout en étant capable si intensément de la partager à tous ceux présents ce soir-là.

Dans son jeu se bousculaient toutes les parties de lui-même. Ses peines et ses rires, ses amours et ses déceptions, ce qu’il avait appris et désappris. Celles de sa vie d’aujourd’hui et celles d’hier. Celles peut-être d’autres vies encore qui venaient nourrir son âme. Et tout cela se matérialisait dans les notes que ses mains impulsaient avec un immense talent aux touches noires et blanches.

La qualité technique de l’instrument lui-même et celle de la sonorisation venait ajouter sa propre dimension aux vibrations musicales. La magie circulait à n’en pas douter. Par moment, presque en transe d’un bonheur si intense, la femme suspendait sa respiration, comme si cela lui permettait de retenir encore un peu en elle la plénitude du moment.

Le concert étant arrivé à sa fin, elle ne put s’empêcher d’aller bredouiller quelques mots tout barbouillés d’émotion au jeune homme qui lui avait provoqués de tels transports. Au retour, dans le noir de sa chambre, elle réécouta à puissant volume les œuvres jouées dans la soirée, portée cette fois-ci par les vibrations de son petit instrument. A piles…..

 

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